Tenue de Joseph:

Trou noir. Béant, comme une fracture ouverte. Une vraie plaie ce putain de picrate, ou l'eau de vie était trop forte, je sais même plus. Trou noir j'te dis ! J'essaye d'ouvrir un œil, lumière aveuglante m'y empêche. Rétine vrillée, je roule sur le côté par automatisme, croyant encore être sous mon bureau, à Feli-city. Je tape la tête durement contre un truc qui me semble être de la pierre, mais j'suis pas sûr. Faut dire à cette heure là je sais plus ou j'habite, ni qui j'ai encore fais chier pour mériter un pareil destin. Conscient que je cherche cet état, que le démon nait de mes propres pulsions, et qu'il mange à tout mes râteliers, je ne me plains pas. J'essaye de gueuler mais  on dirait que je suis aphone. P'tin, plus de voix, plus de vue. Heureusement j'sens encore le bout de mes doigts et de mes pieds maintenant, sinon j'aurai cru avoir canné dans la nuit. Enfin la nuit, fais jour non ? La lumière pourrait être un réverbère aussi. Cette ville sur la colonie HK j'sais-plus-trop-combien, elle ne dormait jamais. Toujours une affiche de pub lumineuse qui pop en sortant de l'écran en 3Dimension. Toujours. Je hais la publicité, elle vous foire toujours la meilleure partie du film.

Je me relève sur mes pieds, m'appuyant sur la matière qui ressemble à de la pierre pour se faire. Sacré soirée alors. Hein. Encore du grand McCanon, j'en suis certains. Je vais pas me répéter, ça fait vieux gâteux tout rabougris alors que je suis dans "l'âge d'or de l'homme mûr", a ce qu'il paraît. Entre trente et trente cinq, tout benef à ce qu'il parait. Bah moi j'en suis à l'âge de l'alcoolisme passif-agressif, et de la clope bien enfoncé dans le bec. Remarque, j'ai rien contre un petit remontant plus fort encore. Sûrement ce qui m'a conduit ... Mais j'suis ou là putain ?  J'ouvre un oeil, la lumière est plus acceptable. Je regarde à droite, des jardins décrépis. Bordel ! J'regarde sur quoi j'ai la mis la main, et c'est le pire endroit que j'aurai pu choisir.

Un COMMISSARIAT,  vraiment MCCANON ? Je me frappe le front. L'endroit est connu pour ça en tout les cas. Ca paye pas de mine mais de l'autre côté de la camera qui pointe sur moi, doit y'avoir un fonctionnaire. Et moi j'ai carrément dégobillé sur le parvis, sûrement que j'ai dû toquer, et qu'ils ont dû prendre ça pour une attaque personnelle d'un gang ? P'tin, j'suis dans la merde ! Je fouille mes ... Mes poches ?

BORDEL, je suis en caleçon. Vraiment MCCANON ? Bon j'ai gardé les pompes bien vissés sur mes pieds, comme d'hab. Un homme bien dans ses basquets,  une valeur sûre. Du coup, faut toujours s'méfier des cordonniers, paraît qu'ils sont les moins bien chaussés... Trêve de préambule, d'intro et de développement, j'te résume la situation : Joseph Mccanon, en caleçon, devant le commissariat le plus pourrie de toute la colonie. Ca te parle comme histoire ? Je reconnais au bâtiment que j'suis pas dans le quartier fétiche, mais dans l'infâme partie la plus pourrie qui puisse exister sur tout HK-01. Ca y'est, les chiffres me reviennent.

Les souvenirs de la veille aussi. Pas glorieux, finalement. Du classique, de biture en scylla, j'suis tombé dans le caniveau, et a partir de ce moment là, une volée d'aventures plus scabreuses, incroyables et incompréhensibles les unes que les autres m'sont tombés sur le coin du museau. Entre les gens que j'connaissais qui voulait m'en payer un, les autres avec qui j'ai parié et filouter pour en resquiller d'autres, j'me suis retrouvé dans une salle de jeux de l'underground, à disputer une partie de cartes pour la gloire. Fin j'croyais.

Parce qu'apparemment, je me suis retrouvé à poil devant le pire endroit du quartier Nord. Super, c'est bien ma veine.

- Excusez-moi.... Excu...sez.... moi ! Que je fais en levant le doigt, devant la camera de l'entrée qui me surveille toujours. Doivent bien se marrer à l'intérieur, si c'est leur genre de se marre. Un énergumène comme moi, le genre de beau bestiau qu'on fait plus, un étalon, en caleçon devant leur édifice ! Même moi j'rigole tout seul comme un con, avant de m'dire que l'idée est peut être mauvaise, qu'on pourrait mal le prendre de l'autre côté. Je montre ma bouche avec mes doigts, et je balbutie quelques mots en essayant d'articuler quelques mots, toujours alcoolisé de la veille. Vieille tradition oblige.  V-o-u-s n'a-u-r-i-e-z p-a-s u-n b-r-i-q-u-e-t ? Fais-je lentement, sortant une clope d'une petite trappe dissimulée dans mon talon droit, un vieux truc de loubards. Les Cops m'ont marqué. J'me souviens encore de mon passage chez eux, et eux sûrement pas.

Enfin j'espère, ça se trouve j'reverrais quelques vieilles têtes si j'entre ? Faut dire, pas trop envie de revoir les connards psychorigides qui m'ont casser les noix pendant tout mon -court mais intense- service.

C'est vrais que j'ai fracturé la rotule du lieutenant. Mais il l'avait cherché, il avait traité ma mère.

Si si, j'vous jure.

Quand la porte s'ouvre, je m'attends à tout sauf à la boîte de conserve qui s'en échappe. Une boite à malice, ce commissariat. La diable sortait de sa boîte, avec son cortège de démons faméliques, et de succubes insolentes que je ... Oui, bon, McCanon, calme toi. C'est un robot, du métal qui bouge. Brrrh. Rien que d'y penser, j'ai la mâchoire qui grince, les genoux qui s'entrechoquent et les fesses qui font bravo. Il peut bouger. Réfléchir. Agir. Son code est si complexe, que l'on pourrait croire que c'est un véritable A.D.N humain. Comment peut on à ce point ignorer ses classiques, et ne pas penser qu'ils pourraient à tout moment décider de nous exterminer ? Qu'on ne soit plus utiles, obsolètes, trop vieux , trop malades, trop tarés ? Que le monde marche sur la tête à ce point, ça me semble vraiment cruel pour les gens conscients et lucides qui vous entoure, bande d'irresponsables ! Bref, j'en oublie presque mes politesses, mais apparemment, même pas besoin de se présenter  , l'androïde ayant déjà réponse à tout, surtout ce qui concernait mon identité.

Au moins, il est serviable, et me tend du feu. J'accepte ce coup de pouce de la technologie, bon cœur contre mauvaise fortune.  Je tends la main en tremblant à cause de la température qui baisse en ces mois d'hivers simulés par le dôme. J'attrape rapidement le feu comme si je craignais de me faire foudroyer par le robot en face de moi. Ou par une présence divin supérieure. Rien que de côtoyer ses aberrations de la nature, ça me foutait une peur bleue des représailles karmiques. Bref, je m'allume ma dernière cigarette en soufflant presque, enfin suffisamment fort pour être entendu dans le silence d'un matin de Week-end. Merci, c'bien aimable ... Que je dis, pensant surtout que si j'suis polie, peut être que la boite de conserve m'épargnera une fois l'apocalypse venue.

On se souvient surtout des premières impressions, quelqu'un nous marque dans les trente secondes qui suivent le premier coup d'oeil. D'abords on le voit sans le regarder, puis après on enregistre les petits détails qui font son unicité.

Hormis sa dégaine roide et sa démarche mécanique, le grand casque faisait comme un carénage de voiture à son interlocuteur. Il faillit demandé qu'on vienne l'aider, qu'un "vrais" humain vienne l'aider. Mais il se dit que dans le grand plan de séduction qu'il commençait à mettre en place pour survivre à cette journée, cette idée ne collait pas.

- Je veux bien, si vous avez quelque chose à ma taille ... Fais-je en riant presque de ma situation, ma cigarette fumant au vent, mon caleçon à flammes fièrement porté sur mon joli cul - ce qu'en disent les femmes en tout cas, et mes bottes de militaire encore fixée à mes pieds.  Ce quartier partait à volo, regardez ce dont devait s'occuper les Cops de nos jours ? Un ivrogne perdu dans les bas quartiers ? Un chat dans un arbre aussi pendant que l'on y était ! Ils étaient les forces de l'ordre, et Mark en avait marre du peu de prestige que ramenait l'uniforme. Déjà que sa femme était moche, et ses enfants suivaient la même voie qu'elle, à savoir un comportement affable mais dénué de toute originalité ! Quelque part, il détestait sa vie, et il voulait, pour une fois, faire son job en prenant les lois au pied de la lettre.

Joseph McCanon ne s'en sortirait pas avec une simple tape sur les doigts, et une bonne nuit de sommeil.

- Dites donc ! Fit Mark en passant la tête par la porte ... On a une cellule de dégrisement pour ça non ?! Fit-il en pressant mon copain métallisé, et moi même à partir de là. Je regarde avec un air un peu triste, un peu apitoyé, le petit gars qui m'a sauvé du manque de nicotine. Il est mon seul échappatoire, ma seule porte de sortie.

Ironie du sort, moi qui abhorre ceux de sa catégorie, mue par une peur incompréhensible pour tout ce qui touche la technologie.