Tierwyfie, Tyler, STARFIRE, @vuurwy_fire, l’incarnation de la poupée creuse, russe, multiple, chemisée d’autant de facettes que de publics. La coqueluche des réseaux n’a que 20 ans et déchaine les passions. La jeunesse s’identifie volontiers à cette petite casse-cou qui montre mille visages authentiques devant les enregistreurs. Il était temps d’en faire un portrait coloré sur Dolls & Jerry, l'émission people de HK-FIRST.

Jerry, l’androïde fétiche du "PAK" - paysage audiovisuel de HK - , ouvre sa bouche articulée à l’ancienne. Ses grands yeux pivotent dans leurs orbites et magnétisent son audience chérie.

« On dit bonjour à Tie ! Bonjour bonjour petite flamme brûlante, je me réjouis de t’avoir sur le plateau de D&J. Aaaaah ! »

Jerry sourit. Le sourire, c’est ce que son visage en silicone fournit de mieux.

« Comment tu vas Tie ? T’as mangé quoi au p'tit déjeuner ? »

Jerry arque les sourcils, intensément focalisé sur son invitée, affamé de ce qui va sortir entre les lèvres de cet enfant paumé. Elle est tellement populaire. Sa présence dans cette émission va tellement enfler la popularité du petit Jerry.

On m'a convié à participer à une émission, sans plus de précisions. Récemment, mes lives avaient pétés tous les scores. Surtout depuis que j'avais uploadé l'enregistrement de mon agression près du Fairy. J'espérais que cet homme serait retrouvé et en paierait le prix fort. Depuis toute petite, je regardais les personnages publics défiler sur D&J, des étoiles dans les yeux. Encore quelques vérifications de mon make-up et je mis ma caméra en route. Néanmoins, maintenant que c'était mon tour, lorsque je vis le visage de cet androïde dans le retour caméra, mon expression changea et se crispa juste à temps en un sourire forcé. Sauver les apparences, c'est tout ce qui comptait.

J'ignorais comment, mais la marque Gerlina, au courant de cette interview, m'avait contacté pour faire la pub de leur toute nouvelle formule de pâte énergétique coupe faim décliné en 60 saveurs différentes et sous forme de barre.

Lorsque l'androïde s'adresse à moi afin de me saluer, je lui offre mon sourire jaune le plus convainquant et je feins la timidité en relevant les épaules, ai-je l'air assez naïve?

« Moi c'est simple j'ai pas trop le temps de me faire un p'tit déj de luxe et avec mes journées de barge, j'm'emmerde pas à cuisiner. Donc je prend une Gerlina tout simplement. Vous connaissez? Ma saveur préférée c'est la noix de coco. Y'en a au moins soixante... personne ici ne peut pas en aimer au moins deux. »

Et alors que j'expose mes préférences, je brandis une barre déjà entamée en ayant fait en sorte en amont qu'on puisse tout de même distinguer le logo. Le nombre de pub pour cette bouffe était tellement omniprésente que les gens comme moi, les strays, passaient à côter sans même les voir. La compétition étant rude, les marques passaient désormais par des visages connu pour fidéliser la clientèle et survivre dans ce monde de requin. Rien que quelques secondes à l'antenne et je serais tranquille pour le reste du mois.

L’audimat grimpe en flèche et Jerry sent la jauge monter en lui. Véritable capteur d’audience ambulant, le speaker de l’émission people n’existe que pour elle. La Vega lui a déjà sauvé ses miches polishées une fois et il sait qu’il est sur la sellette. Le petit Jerry n’a jamais autant reçu de menaces de morts qu’aujourd’hui. Les remous sur la condition des androïdes font émerger des extrémistes de tous bords. On s’écharpe pour la liberté les femmes d’acier, on se déchire pour remettre en boîte les hommes de fer. Les HK sont de plus en plus décomplexés sur la question et Jerry focalise beaucoup l’attention en ce moment. Tant est si bien que le nom du petit présentateur mécanique est arrivé sur la table du Conseil d’Administration de Connect. Madame Vega a souhaité laisser le speaker synthétique en place et pour l’instant le public est toujours au rendez-vous, mieux que ça même. Le risque s’avère payant. Mais cette conscience-là, celle de représenter un risque, est terrible à vivre pour Jerry. S’il pouvait suer, il serait complètement déshydraté à cette heure.

La petite interviewée enchaîne directement avec un habile placement de produit. Elle est bonne. « MIAM ! Ah ah ! » Sur les écrans, le logo de la marque s’élargit dans un flash lumineux jusqu’à prendre toute la place. L’effet publicitaire ne dure qu’une seconde et les protagonistes occupent de nouveau l’entièreté du cadre.

« Question chaud-froid Tie. Raconte-nous ta pire expérience sur Virtuality ! Et on veut aussi entendre la meilleure bien sûr ! Ah ah ! »

Ce "Ah ah" à la fois jovial et dissonant est sa marque de fabrique. Nombre d’ados l’imitent pour agacer leurs professeurs et leurs parents.

Ravie de mon petit placement de produit, je range la barre discrètement. Je sers mes doigts entre eux. Calme toi. Mais c'est vrai que ce faire interviewer par un vulgaire grille pain, je trouve ça dégradant. Ne vous méprenez pas. J'adore cette émission. L'un n'empêche pas l'autre.

Je me souviens c'était un jour pluvieux, comme par hasard. Je me connecte à cette nouvelle instance Dark Fantasy. Je ne donnerai pas son nom. Oui je suis fan de MMORPG, je le rappelle, pour les p'tits nouveaux. Et donc ce soir là je me connecte. Leurs serveurs avaient back up ! Toute ma progression de la veille, anéantie, vous vous rendez compte ? Avec ma guilde on avait fait au moins une vingtaine de try. Bref on contacte le SAV qui restaure nos données. Mais dans l'inventaire du chef de guilde, un objet chelou. Forcément, on l'utilise. Mais plus tard on a apprit que c'était un objet cheaté, réserver uniquement aux MJs. Le chef de guilde ban def et nous... un ban de 3 jours. Scandaleux !

Pour peu qu'on soit au courant de l'actualité Virtuality, la seule nouvelle instance Dark Fantasy notoire était Darkworld. Mais sans cité le nom de l'instance, je m'assurais de ne pas m'attirer les foudres d'IRL.

C'était pour la pire expérience. La meilleure remonte à quelques jours. J'ai fais du saut en parachute.

Ce que j'omet de dire c'est que cette activité m'a été offerte par un client après... vous savez. Je ris, et gesticule dans mon siège.

- Du saut en parachute vous vous rendez compte ? ma bouche forme un haut alors que je me détourne de jerry pour fixer l'objectif de la caméra. Actuellement je suis en live sur MIND, tu permets? Je m'empare de ma caméra et élargie mon sourire. Les terreurs du chat, dites bonjour à Jerry. je fais en tournant l'objectif sur l'androïde quelques secondes avant de le reporter sur moi. Le chat s'enflamme et des milliers de "Cc Jerry" et variants apparaissent à l'écran.  Les émojis dansent et fusent dans tous les sens. Retrouvez moi en direct sur D&J pour la suite de l'interview, les terreurs. Je coupe le live.

Et sur ces paroles je m'exécute. Nul doute que dans les prochaines secondes l'audimat allait exploser de manière exponentielle.

La jauge grimpe et grimpe encore et la moyenne d’âge descend. Un riche public adolescent suit Jerry et Tierwyfie et les trentenaires ont quitté HK-FIRST à cette heure-ci. L’androïde speaker opine frénétiquement du chef, authentiquement captivé par le témoignage de l’influenceuse vedette. Lorsque l’objectif de la jeune fille se tourne vers lui, il signe un grotesque "coucou" en plaçant ses mains au niveau de ses tempes et en agitant énergiquement ses doigts mécaniques, ses globes oculaires opérant une rotation surnaturelle et hilarante pour ses fans.

« Ah Ah ! Et bienvenue aux copines et aux copains qui nous retrouvent en direct ! »

En direct ? Pas exactement. HK-FIRST se dote toujours d’un différé de cinq minutes histoire de disposer d’une marge de réaction. La plus grosse audience du PAK ne peut pas se permettre la moindre perte de contrôle. HK-FIRST a eu un avant et un après le hack de MM, l’ancienne terreur des médias.

« Et ton p’tit cœur comment il va ? Tie est amoureuse ou teigneuse ? Cœur rose ou cœur noir ? Veux-tu nous parler de celui ou celle qui te donne de l’amour ? Et si cette personne n’existe pas encore, qu’est-ce qui pourrait te faire craquer Tie ? »

Je vérifie que ma caméra est bien cadrée, de façon à ce que rien de compromettant n'apparaisse à l'écran. Dans une maîtrise de moi-même, je retiens le soupire que j'ai sur le bord des lèvres. Je me force à fixer l'objectif, aussi fort que possible pour que ce satané androïde sorte de mon champ de vision. Mais c'est impossible, son visage s'affiche en grand sur mon écran. J'esquisse un sourire, sympathique. J'ai pourtant envie de traverser l'écran pour la mécanique de sa bouche articulée.

Parler de ma vie amoureuse n'allait m'être d'aucun bénéfice. Mes activités sur Virtuality allait en pâtir, c'est sûr. Alors je choisis de détourner sa question.

J'ai eu un coup de cœur pour la 2086 récemment. J'en rêve même la nuit.

J'offre un clin d'œil complice à la caméra.

Plus sérieusement, si je devais donner au moins un critère ; je pense que je préfèrerais une personne de grande taille. Je le dis, sans vraiment le dire. Homme ou femme, en réalité, peut m'importe.