Les lendemains de soirée n’avaient jamais été des plus glorieux en ce qui me concerne. C'était plus une sorte de grosse beuverie avec toutes sortes de drogues colorées, plutôt qu'une soirée. Je n’y connaissais personne et pourtant je m'étais éclaté comme une folle. Je savais que mon attitude  était puérile et vraiment inconsciente, mais il fallait que je me vide la tête de toute cette merde à laquelle je devais faire face au quotidien. Mon appartement était laissé à l'abandon depuis plus d'une semaine à force d'enchaîner soirée sur soirée, je ne rentrais jamais chez moi. Ça devait faire presque trois jours que je portais les mêmes vêtements. Parfois lorsque je vois mon regard dans une vitrine, je me demande comment j'ai fais pour en arriver là. Et pourquoi Ash ne cherche même pas à me faire entendre raison. Pour le moment je fais une pause, mon corps me le demande, mon cerveau me l'ordonne.

Adossée au poteau électrique, je m’allume une clope en regardant les passants, sans réellement les voir. J’ai les mains qui tremblent. Mes yeux rougis par mes excès sont dissimulés derrière de grosses lunettes noires. Le Fairy Mountain n’est plus qu’à quelques pas. Une distance qui me paraît bien insurmontable sans ma dose de nicotine. Ce n’est que lorsque que je manque de m’étouffer avec la fumée, que, d’un geste rageant, j’écrase le mégot contre le métal du poteau. Je me frotte les yeux en même temps que je reprends ma marche salutaire. Arrivée devant la porte, j’adresse un regard pressant au dealer, son bras tendu désigne un sachet plein de bonbons magiques, sûrement volés à ces putains de fanatiques. Immédiatement, je lui remet une carte prépayée que j’ai mis un temps fou à économiser grâce à mes performances sur Virtuality.

« Ça te dis toujours rien de danser pour moi, ma jolie ? » susurre-t-il à mon oreille alors que j’ai fais volte-face.

Un frisson de dégoût me parcours l’échine lorsque je sens l’odeur de son haleine fétide, souiller mes narines. Je lui fais face et ne cherche même pas à dissimuler mon dégoût, même pas un peu. Je pose une main sur son épaule et la tapote avec un mélange de pitié et de dégoût sur le visage. Ses yeux de merlan fris me jettent des éclaires. Je n'ai même pas le temps de craché mon venin que son poing s'écrase contre mon arcade sourcilière. Je vacille sur le côté, surprise et déséquilibrée. Son coude s'abat contre l'os de ma joue et je sens le goût métallique envahir ma bouche. J'ai à peine le temps de cracher la dent que je viens de perdre que son genou me coupe le souffle. Je m'écroule.

« Si tu reviens par ici, je te demanderais pas ton avis pour prendre ce que je veux. »

Je relève la tête, lui adresse un sourire narquois et crache à ses pieds. Expression de sa frustration sexuelle, l'adrénaline coule dans mes veines.

Cogne moi.

Il me fracasse la gueule, clairement. Ses doigts plongent dans ma chevelure, s'ancrent, et me traînent dans une ruelle plus sombre. Il semble avoir beaucoup à évacuer. Je me recroqueville pour protéger mon visage, personne ne voudra d'une danse si je suis désagréable à regarder. Cette scène ferait des millions de vues, dommage. J'entends des éclats de rires, des semelles sur le bitumes ; mais personne ne vient à mon secours.

Je crois que j'ai tourné de l'œil. Lorsque je reprend connaissance, la première chose à laquelle je pense c'est d'uploader le visage de ce mec sur MIND. C'est pour ce genre de situation que je me suis procurer des lentilles connectées. Alors que je suis à la recherche de mon cellulaire, quelqu'un me balance un medik-pack.

Je m'en saisis rapidement en même temps que je sors mon miroir de poche. Pas moyen que mon gagne pain soit endommagé. J'inspecte scrupuleusement mon visage et y place le patch de façon à ce que la surface recouvre un grand nombre de blessures. Je tousse. Une flaque de sang vient tâcher les chaussures du robot en question. D'un revers de la main j'essuie le liquide poisseux qui perle sur le coin de mes lèvres.

« Non, non, non, non... » je fais en vidant le contenu de mes poches au sol. « Ce salopard à volé mon téléphone ?! »

Je me relève précipitamment, ou plutôt tente de me relever et m'écroule aussitôt. La douleur m'arrache une grimace. J'aurais aimé tapé du pieds et donner un coup de poing dans le mur, mais le simple fait de respirer était déjà un supplice.

« Et dire que c'est un putain de robot qui me sauve la face. »

Même si ce grille pain ne m'en voudra pas de ne pas dire merci, je relève la tête, histoire de voir à qui j'ai à faire. Je ris intérieurement. Qu'elle m'emmène chez elle? Pas moyen. Une stray populaire sur MIND, croyez le ou non, ça dérange. Alors que ce putain d'Androïd soit l'envoyé d'un Bourgie ou d'un Olympian rongé par l'ennui ne m'étonnerai pas.

« Mais t'es cassé meuf, je commence tout en essayant d'atteindre ses cordes vocales, tu dois faire une mise à jour ou quoi? » Et je tapote sa gorge sans lui laisser le temps de répondre.

Les androïdes font peur à voir, on les prendrait à s'y méprendre pour de véritables êtres humains. Mais pour moi, c'était la même chose que mon grille pain. Un grille pain taille humaine avec une voix, mais rien de bien plus. Et encore moins de quoi se battre pour les droits des androïdes... Je devrais me battre pour le droit des lisseurs, ils méritent. J'étouffe un rire à ma connerie.

« Et ouais c'est sympa de ta part, mais je vais pas chez les inconnus, encore moins chez une putain d'androïde. »