Même les tréfonds les moins séduisants de l'East Side ont des airs huppés pour qui doit reposer sa carcasse tous les jours - faute de dormir la nuit - dans son frère opposé. Le West Side peut se parer de mille couleurs pour appâter le chaland jusqu'au Quartier Rouge, il n'a rien pour tenir la distance face aux rues colorées et bouillonnantes de l'est. C'est presque exotique, pour Lian. Elle qui n'a pas tant que ça le loisir d'apprécier chaque recoin du coin qui a pourtant tout pour la séduire.

Elle aurait pu profiter du Storage et ses multiples échoppes aussi chaotiques que bariolées. Ou bien du Marché Noir, où elle a suivi tant de cibles par le passé. Mais c'est au Prism que le rendez-vous à été donné. Un endroit dont la réputation ne dénote pas tellement de la plupart des débits de boisson de l'Underground, et dont l'insignifiance est certainement le premier argument pour s'y retrouver.

La passion totalement avouée de Lian pour ce qui se fait de plus vulgaire n'a même pas de quoi la réjouir lorsqu'elle finit par entrer dans l'établissement. Tout d'abord, elle est ici pour travailler. De quoi éveiller un état tout à fait particulier que seul le Mentor saurait expliquer. Un sérieux qui contraste radicalement avec le visage si expressif qu'elle tend à afficher dans l'Ouest. Ici, le masque est de rigueur : en surface, et en profondeur.

La reproduction factice d'électrocardiogramme occupe son écran alors qu'elle se fraie un chemin à travers les sièges et les tables souvent vides devant lesquels se trémoussent des danseuses peu inspirées et encore moins inspirantes. Un bref regard dans leur direction, attiré principalement par le mouvement et les lumières, en plus des grincements insupportables des barres de pole-dance mal fixées qui viennent agresser ses tympans augmentés. "Une nuque pétée avant la fin de la nuit." Murmure-t-elle comme pour pour prendre le pari avec sa conscience, un petit sourire en coin. Une belle rangée de dents se découvrent sur la face avant de son casque, trahissant son humeur taquine, alors qu'elle repère un individu qui, faute de vraiment se détacher du décor, ne semble pas prêter grande attention au spectacle qui se trémousse vaguement dans sa direction.

"... Bordel." Finit-elle par souffler de nouveau, terminant à l'oral une phrase qui a pourtant commencé dans son seul esprit. Discrètement, elle se faufile vers celui qui cache mal son son manque d'envie d'être là, et le détaille au passage. Rien ne lui saute aux yeux avant qu'il n'ait la brillante idée de se retourner, sans doute aiguillé par le son amplifié et modifié de la respiration de Kestrel. Ses yeux ont quelque chose de surprenant, surnaturel, et pas seulement dans le style : aucun doute qu'il y a là derrière quelque chose de plus. Ce ne serait pas le premier, et encore moins le dernier à user de son corps comme d'une interface améliorable. Mais il convient de rester prudent. Peut-il voir à travers son casque ainsi ? Lian se retient de secouer la tête et reste immobile un instant, chassant l'idée immédiatement. Le Mentor ne le permettrait pas, et elle non plus.

Silencieusement, elle finit par s'installer aussi confortablement que possible en face de celui qu'elle a déjà admis comme son nouveau client. "Kestrel." Inutile de se trouver d'autres pseudonymes que celui déjà affiché sur Subconscious, et dans les dossiers de ses anciens clients. Une réputation se construit sur la durée, inutile de diviser les résultats entre de multiples d'identités et de gâcher tant d'efforts. "Mais pour un bonus, vous pouvez m'appeler comme vous voulez, c'est vous qui payez." Un petit sourire se dessine sur l'écran, accompagné d'un rire discret. La voix haut perchée de Lian se mue à travers le casque en écho rauque, d'un factice qui se veut androgyne. Mais son ton de pseudo-robot et son blouson de cuir large ne trompent pas vraiment qui aurait vraiment l'oeil.

Croisant les bras, la tête penchée sur le côté, Kestrel laisse un petit silence s'installer. "Vous vouliez me voir, je suis là. Qu'est-ce qu'il y a pour votre service ?"