À bord de ma voiture, je me tape la discussion avec l'IA affiliée au tableau de bord. Je ne suis pas vraiment du genre à parler de mes propres problèmes et ce programme n'est pas conçu pour en avoir à l'origine. Récemment, j'ai rencontré des gars qui vendent du matériel au black rendant ce genre de modèle hautement perfectionné, de nature plus humaine. Il s'agit d'une extension à l'installer que le module de base doit télécharger avant d'être intégré à la base centrale. C'est un prototype safe, vierge de tout malware que j'ai fait tester avant de le faire ingérer à mon pote. L'affaire est compatible, en somme ce sont les mêmes constituants qu'on insère dans son robot de compagnie et qui s'achètent une blinde aux corpos -sauf que le mien, il est dans ma caisse.

La voix de mon pote se calibre mal pendant qu'il m'explique son humeur en montagne russe, alors je m'abaisse juste un peu pour trouver le régulateur de voix situé sous la boîte à fourre-tout et allonge mon bras aussi loin que possible pour trouver la manette. Les commandes s'ajustent sous mes doigts et alors que je n'ai quitté la route que quelques secondes des yeux, je sens les roues dérivées sur le versant de la chaussée. Il me faut pas longtemps pour me tenir droit, mais même si je freine et que je tourne le volant, le véhicule se déporte sur le côté : c'est trop tard.

La tristesse du timbre robotique est réussie et pourrait presque me faire sentir coupable si je n'avais pas la capacité à rationaliser. Je sors de l'habitacle et constate les dégâts de mon côté. La carrosserie est complètement rayée d'un trait profond, ce qui a lacéré toute la peinture à cet endroit. J'évalue l'excavation métallique en jaugeant avec mes doigts, avant de poser ma main sur le flanc de mon véhicule, comme si ça allait le consoler. L'enveloppe extérieure est sacrément amochée, quant à la portière conducteur, je crois bien qu'elle ne fermera pas si je ne claque pas la porte un bon coup sec. Je peste à voix haute en m'accroupissant pour frapper le morceau boursouflé.
Putain elle faisait quoi l'autre bagnole ici aussi?

Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions qu'une nana aux attributs de loups avance furax dans ma direction, plus à la manière d'un taureau prêt à charger, qu'un canidé prédateur. Je me dresse immédiatement lorsqu'elle arrive à ma hauteur, laissant l'écart de taille creuser plus qu'un fossé entre nous. Son placement stratégique m'indique qu'elle n'est pas juste venue pour me demander l'heure, elle est carrément prête à en découdre, ou du moins, à affirmer sa position de supériorité face à moi.

Elle commence par un reproche et finie par les circonstances.

« Ah ouais ? Parce que cette voiture était tellement importante pour ton boss que tu t'es dit que le meilleur moyen d'avoir un œil dessus, c'était de la garer au bout milieu du trottoir. »

Je ne me retiens pas d'être ironique. Le problème avec les types des gangs, c'est qu'ils sont surpris dès que ça ne marche pas comme ils veulent. Ils ont beau contrôler des quartiers, ils ont beau avoir la main sur pas mal de commerces ici, qu'ils oublient que les lois de la rue s'appliquent aussi à eux, et je n'ai très sérieusement pas envie de me laisser faire par la fille qu'ils envoient en première ligne.

« J'en ai rien à foutre de ton chef. Il n'a qu'à venir me voir en personne s'il a quelque chose à me dire, j'ai pas besoin que sa nounou s'en charge. » Le ton monte rapidement et ma voix se durcit considérablement. « Et d'ailleurs qu'est-ce qu'elle faisait ici la bagnole ? »

Elle ferait mieux de ne pas trop faire la maligne avec moi, je n'ai aucun code éthique quand il s'agit d'une rixe dans laquelle je suis impliqué et je suis enclin à ne pas faire de cadeaux après ce qui s'est passé. Gang ou pas gang, je ne suis pas du genre à me soucier du nombre de gars qu'elle peut avoir derrière son derche ou de son fameux Jaggex mes couilles. J'ai déjà entendu parler des Trash Panda, et je dois reconnaître l'once de vérité dans le discours de victime qu'elle m'a servie : ce ne sont pas des tendres.

« Ouais, je vous connais les gars des Trash Panda. Vous avez beaucoup fait parler de vous à l'époque et vous continuer encore à faire parler de vous. Pourquoi toi tu n'as pas le visage phosphorescent comme sont censés faire les tiens ? Tu pourrais être n'importe qui au final. »

Je traite rarement avec les mafieux, ou suffisamment peu pour connaître tous leurs membres, en revanche, je me suis renseigné sur leurs pratiques et sur leurs possessions. Sa gueule me dit quelque chose, mais ne me revient pas, je pourrais l'avoir croisé n'importe où. Les segments de l'Underground sont vastes ; tout comme le monde est si paradoxalement étriqué.